12 février 2009 4 12 /02 /février /2009 10:33

À vous tous/ tes qui vous êtes mis en communication avec nous, par téléphone, par e-mail et à travers les moyens de la technologie, je voudrais vous remercier pour votre présence, votre amitié qui a soutenu notre communauté…et qui, pour moi personnellement, a été un force dans ces temps si troublés. Je voudrais aussi vous partager quelques bribes du vécu dans cette ville de Gaza.

Aujourd'hui 18 janvier…trois semaines de guerre, trois semaines d'horreur continue, trois semaines de destruction et de mort…

C'est le 27 décembre, encore sous les lueurs de Noël, après la naissance du Prince de la Paix (Is. 9, 15), vers 11 heures du matin, en plein horaire de travail et d'écoles, que la terreur nous surprend… intenses bombardements, des cris partout…chacun court sans trop savoir où… en 5 minutes, plus de 40 morts….à jamais imprimée dans notre mémoire l'image de ce policier palestinien qui meurt, doigt dressé vers le ciel récitant sa profession de foi, devant les caméras de TV.

Deux voisines, Rita et Ghada, ne voyant pas leur père revenir du travail, se précipitent à l'hôpital, le chercher parmi les blessés…elles nous parlent des premiers scènes, des morts et des blessés gisant ensemble dans les couloirs…L'hôpital, qui manquait déjà de presque tout à cause de l'embargo imposé par Israël depuis deux ans, n'arrive plus à secourir tant de blessés... et la guerre s'installe dans notre ville, dans chaque quartier, dans chaque maison…l'édifice du Ministère de l'Intérieur et de la Sécurité Nationale détruit, ainsi qu'une Mosquée… le lendemain ce sont l'ensemble des Ministères, le Palais Présidentiel  (si beau!), le laboratoire de l'Université Islamique, plusieurs centres de Police, des casernes….et même le principal hôpital de Gaza, le Shifa; est touché!... tout ce qui  serait l'infrastructure du futur État Palestinien…tout détruit…et les morts et les blessés augmentent constamment..

Les premiers attaques sont aériennes (F-16, Apaches, etc.) ainsi qu'à partir des bâtiments de guerre placés près du port… quelques jours plus tard  les chars qui entourent toutes les frontières de la minuscule bande de Gaza entrent aussi en action… et bientôt les réfugiés  se tassent dans les écoles de l'ONU… Deux de ces écoles sont bombardées, pleines de familles, de civils, des enfants…. Les enterrements sont collectifs!

Dans moins d'une semaine, Gaza devient un grand camp de réfugiés ou chacun est une possible cible de la prochaine attaque. La vie s'organise en fonction des circonstances… de gaz il n'y en a point… l''lectricité disparaît assez vite, car les installations sont aussi touchées par les bombardements… l'eau devient plus que rare… le pain est presque objet de "luxe"….avoir quelques pains peut coûter jusqu'à 5 heures de queue devant le four!!!.

Pendant la journée, nous sommes tous à la recherche de nourriture…ou bien, bidon plastique à la main, nous cheminons à la recherche de quelques litres d'eau à boire! Les nuits sont longues et terrifiantes, car les bombardements les plus durs sont souvent nocturnes… les soubassements, les murs, les fenêtres, tout trépide… nous dormons la radio allumée, pour essayer de savoir "où cela serait tombé"…

Gaza, "une des plus belles villes de Palestine"…. Gaza qui, après certains lointains accords (serait-ce Oslo?) avait cru dans un avenir meilleur et s'était revêtue de belles bâtisses, de jardins, de quartiers résidentiels… est devenue aujourd'hui un grand camp de déplacés…

Les écoles de l'ONU accueillent de milliers de ces déplacés…des enfants, des femmes, des hommes qui ont  perdu leurs maisons et, pour beaucoup, une partie de leur famille…et qui deviennent la cible de prochains bombardements!

Objectif de cette opération?... le "terrorisme", au dire de ceux qui organisent ce que j'ose appeler crime contre l'humanité…Victimes?...tout le peuple palestinien…autour de 1400 morts  ("martyrs"), dont  quelques 300 enfants et 100 femmes….comme cette mère de famille qu'un missile tue pendant qu'elle donne le sein à son bébé de 10 mois… tous les deux morts sur place et deux autres enfants blessés… Ou cette jeune femme qui part à l'hôpital, pour accoucher, accompagnée de trois amies (les hommes, mieux vaut ne pas sortir la nuit!)… toutes les 4, et le bébé, meurent sous une autre bombe…

"Terroristes"? … cet homme, directeur de Banque, qui, avec sa femme et deux de leurs enfants, essaie de fuir, en voiture, vers des zones plus sûres,…tous les quatre réduits en cendres par le tir d'un char de combat…Ou les 15 morts dans le bombardement d'une Mosquée pendant la prière du soir…. Ou les trois jeunes réfugiés dans un école de l'ONU, qui meurent à minuit, si près de chez-nous…la déflagration fait tomber les vitres de nos fenêtres… mais les cris de douleur de la mère d'une des victimes déchirent, pendant des heures, le peu de silence qui restait encore dans la nuit…"une voix se fait entendre, une plainte amère…elle ne veut être consolée pour ses fils, car ils ne sont plus…"(Jer.31, 15)

Mes sentiments au milieu de cette déchirure?... d'abord une grande tristesse… tristesse de voir disparaître tout  vestige d'humanité dans l'être humain, capable de semer ainsi mort, douleur, destruction…Tristesse devant ce désir de voir plier, sous la violence, la soif de justice et de liberté de tout un peuple…Mais, aussi, une certaine fierté  devant le mouvement de solidarité et   le courage pour "tenir" au milieu de cette violence qui essaie de nous voler la vie…le simple fait de vivre , d'aller de l'avant, même l'âme en pleurs, est déjà signe de force et de résistance.

Je ressens aussi une grande tendresse et admiration envers ce peuple, digne et assoiffé de justice…Hanna, réfugié dans notre quartier, nous dit l'état de son appartement après   le passage des soldats israéliens qui s'y ont installés pendant quelques heures…tout est démoli, même la crèche, petit vestige d'une Noël que nous n'avons pas fêtée…et dans les yeux résignés de Hanna, je lis l'exode de sa famille, réfugiée de Jaffa en 1948…car l'histoire se répète 60 ans   après.

Peur?... je ne crois pas l'avoir sentie…ou, peut-être oui…lorsque, devant une possible évacuation d'étrangers, j'insiste, nous insistons dans notre désir de rester ici, près de "nos"gens… et, une fois la décision prise, je sens en moi une petite crainte… crainte d'avoir trop insisté, crainte de ne pas avoir pris la bonne décision… Mais, cette crainte fut si brève…elle devient aussitôt un fort désir de cheminer à côté de notre peuple, errant, déplacé à l'intérieur de son si petit territoire.

"Consolez, consolez mon peuple…" (Is. 40, 1)…consolez les parents de Christine, 15 ans, qui meurt étouffée par la peur, après qu'une bombe tombe à côté de sa maison…Consolez Minerva, dont la maison est détruite et, 24 heures après, le fils, Nassim (26 ans) est tué par un autre missile…Deux victimes chrétiennes… deux jeunes palestiniens dont le destin est lié à celui de leur peuple…

Aujourd'hui, après trois semaines d'horreur, je ressens encore la rage… rage, voyant que la question palestinienne est réduite à ce que l'on appelle "terrorisme", oubliant  le vrai problème, c'est-à-dire, la dépossession de tout un peuple du droit à une vie digne, sur sa propre terre, dans un pays indépendant et libre, en paix avec tous ses voisins…

Dimanche… un fragile cessez-le-feu s'installe…nous sortons tous…les rues sont pleines de gens assoiffés de provisions, assoiffés surtout…d'un peu d'air "frais", sans bombes, ni Apaches, ni F-16…

À la Paroisse, notre curé, qui a si fortement dénoncé le massacre et réclamé la justice à travers tant de moyens de communication, soutient sa communauté, nous encourage, nous maintient fermes dans l'espérance, "ancre de notre âme" (Hb 6, 19)…Je n'ai jamais entendu prier le Credo avec tant de force!!!... "Ne crains pas, petit troupeau..."(Lc 12, 32)… continue le chemin avec tout ton peuple…

Mais, ce qui a donné le plus de force à tout mon être c'est d'aller avec Nada (enceinte de 5 mois) pour  faire une écographie….le docteur me montre, dans l'écran, le cœur du bébé, petit point blanc qui bat avec force….tic..tic..tic…accroché vigoureusement à la vie, criant au monde que, elle, la vie, est encore aujourd'hui plus forte que la mort!!!

Avec toute mon affection, dans l'espérance d'un avenir de paix pour tous….

Elena, petite sœur de Jésus de Gaza,  le 12 janvier 2009

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