J'avais déjà fait allusion à la situation des Chrétiens au Moyen Orient, il y a quelques jours (le 28 avril), à l'occasion d'une réunion
d'évêques de ces régions. Aujourd'hui je reviens sur ce sujet pour une interview (1) de Mgr Paul-Mounged El-Hachem (2), Nonce apostolique pour le Yémen, le Qatar, le Bahreïn, le Koweït et les
Emirats arabes unis, et délégué apostolique en Arabie (Arabie Saoudite et Oman. Ce texte, communiqué par l'agence catholique romaine Zénith, quoique un peu long, mérite d'être en partie
communiqué. Il appelle à la nécessité d'un dialogue, et souligne la nécessité de promouvoir le "concept de citoyenneté (qui serait) le plus adapté aux peuples du Moyen-Orient qui sont religieux
par nature." Tout citoyen doit en effet disposer du droit de vivre selon
ses propres valeurs religieuses.
Jean Bisson - 10 05 2012
1- Les propos du nonce apostolique émérite libanais ont été recueillis par Mark Riedemann, pour l’émission «Là où Dieu
pleure», en collaboration avec l’association internationale: «Aide à l’Eglise en Détresse», (AED). Rome, mardi 23 avril 2012 (ZENIT.org)
2- Mgr P-M El-Hachem, d'origine libanaise, fut professeur en droit islamique à l’université du Latran pendant 29 ans. C’est
Benoît XVI qui, sachant l’importance d’avoir de meilleures relations entre chrétiens et musulmans, l'a nommé nonce dans cette région du monde.
Voici un condensé des propos de Mgr P.-M. El-Hachem:
La majorité des chrétiens vivant dans les pays du Golfe sont des travailleurs étrangers qui constituent un quart à un tiers de la
population. Seul le Liban dispose d'une constitution reconnaissant la liberté religieuse. Partout ailleurs, les Chrétiens sont considérés comme des étrangers; ils disposent du droit de pratiquer
discrètement mais n'ont pas le droit d'évangéliser. Le droit de se convertir n'est pas reconnu à un Musulman.
Si l’on constate que la majorité des musulmans désirent vivre en paix et sont modérés, pourquoi n’entendons-nous pas cette majorité
s'exprimer alors qu'on n'entend seulement parler des fondamentalistes et des violences contre les chrétiens?
Il faut que les pays occidentaux aient une meilleure connaissance de l’Islam. Leur comportement et leurs réactions ne doivent pas provoquer et
pousser les fondamentalistes et les fanatiques à prendre le pouvoir. Je suis absolument certain que les événements du 11 septembre n’ont pas été approuvés par la majorité des musulmans. C’est une
action qui a été menée par des fondamentalistes, des fanatiques comme Ben Laden. Ce fanatisme et cette réaction violente étaient une réponse à l’encontre du comportement de certains pays. L’autre
problème qui a affecté dramatiquement le comportement et la mentalité de beaucoup de musulmans, est la question israélo-palestinienne. C’est le cœur du problème.
L’autre facette, ce sont les conséquences de la manière dont l’Etat d’Israël a été fondé et dont les Israéliens se sont comportés à l’égard des
Arabes. Si nous regardons l’histoire et l’accueil que les Juifs ont reçu des Arabes lorsqu’ils sont venus au Moyen-Orient avant la fondation de l’Etat d’Israël, nous nous apercevons qu’ils furent
accueillis de manière très amicale.
Avant la fondation de l’Etat d’Israël, plus de 500.000 Juifs vivaient en Egypte, plus de 200.000 vivaient à Beyrouth, au Liban, et plus de
300.000 au Yémen, dans une relation parfaitement harmonieuse. Les premiers Juifs qui immigrèrent vers la Palestine reçurent un accueil très hospitalier de la part des Arabes, qui leur vendirent
des terres. Ils vivaient dans une coexistence pacifique jusqu’à la fondation de l’Etat d’Israël.
Depuis cette époque, et depuis que les Juifs ont déclaré Jérusalem comme leur appartenant, les musulmans se sont senti humiliés. Tout ceci
contribue à creuser un antagonisme plus profond et provoque une radicalisation croissante de l’Islam.
La réponse est la paix. La réponse se trouve dans la proposition qu’a faite le Saint-Siège dès le début : deux Etats pour deux peuples, avec
des frontières définies et sécurisées, et la restauration des bonnes relations qu’entretenaient les juifs et les musulmans avant la fondation de l’Etat d’Israël en 1948.
L’idée de sécularisation, normale dans les pays occidentaux, n’est pas actuellement possible au Moyen-Orient. L’idée de sécularisation est un
concept qui n’existe pas au Moyen-Orient, ni pour les chrétiens ni pour les musulmans, parce que les peuples du Moyen-Orient sont religieux par nature. Il vaut bien mieux parler de
citoyenneté, de "citoyenneté pour tous", concept selon lequel les citoyens ont le droit de vivre selon leurs propres valeurs religieuses. L’Islam
n’est pas seulement une religion, c’est à la fois une religion et une culture. Tout acte posé par un musulman a une valeur à la fois religieuse et culturelle. Je n’oublierai jamais lorsque le
président du Liban d’alors, Rafic Al-hariri, avant d’être assassiné, avait voulu introduire l’idée que la religion ne devrait être enseignée que dans les mosquées ou les églises. Un des
principaux chefs du Hezbollah m’avait dit : « A quoi pense Hariri ? Il veut chasser Dieu du Liban, il n’a pas le droit de faire cela… Dieu a le droit d’être au Liban ».
Faut-il une reconnaissance de la citoyenneté, quelle que soit la tradition religieuse? Reconnaître l’égalité, indépendamment de la croyance religieuse, accepter que tout le monde ait les mêmes droits, devoirs et obligations,
reconnus et établis dans la loi de l’Etat, ce serait l’idéal. C’est l'esprit de la Constitution du Liban et c’est pourquoi je pense que le Liban doit être un modèle.
Je pense que l’autre objectif important pour le monde musulman, aujourd’hui, est de comprendre la démocratie, les droits de
l’homme, et de réaliser l’importance de toutes les formes de liberté. Une des grandes décisions du Concile Vatican II qui, selon moi, fut un magnifique acte de courage, a été la déclaration de la
liberté religieuse, qui précise que tout être humain a un plein droit d’adhérer à la religion qu’il veut ; c’est important et c’est magnifique.