Bruno Julliard a été chargé par le PS de préparer le train de réformes que défendra la
Gauche pour la prochaine campagne présidentielle de 2012. Voici le texte d’un dialogue avec plusieurs questionneurs que l’on peut trouver dans « LeMonde.fr » . C’est long, certes : mais il me paraît important
de savoir comment la gauche sent l’avenir de l’Ecole publique et comment l’évolution de l’éducation peut être traitée selon des points de vue politiquement opposés.
Jean Bisson – 27 10 2010
« C’est un texte de travail qui doit être encore débattu par les instances nationales du PS,
qui sera ensuite débattu et voté par les adhérents du PS. Il s'agit donc d'un texte-étape de notre projet éducatif.
Nous considérons qu'il faudra décréter une priorité absolue à l'école primaire et à la
petite enfance. Pour cela, nous engagerons immédiatement des discussions, une concertation avec tous les partenaires concernés pour la création d'un service public de la petite enfance, et pour
une revalorisation de l'école primaire à tous les niveaux : budgétaire et pédagogique.
La deuxième priorité concernera les établissements scolaires composant les
ZEP [zones d'éducation prioritaire] actuelles. Nous lancerons un chantier pour garantir un réel surinvestissement public dans les établissements qui
en ont le plus besoin.
Troisième priorité : le rétablissement de la confiance entre la nation et ses enseignants.
Pour cela, des discussions sur une revalorisation de leur métier, leurs conditions de travail et le contenu de leur mission seront lancées dès les premières semaines suivant l'élection d'un
président de la République de gauche.
Quant au calendrier choisi pour la publicité pour notre travail, je m'en réfère au choix du
Monde.fr qui a publié ce document qu'il s'est procuré. La priorité actuelle est bien entendu le soutien à la mobilisation contre la réforme des retraites. Il n'en demeure pas moins que le débat
sur l'avenir du service public de l'éducation dans notre pays est une priorité absolue, et sera un élément central de la future élection présidentielle.
La gauche et le Parti socialiste au premier chef doivent être au rendez-vous, et le
document dont nous parlons aujourd'hui est une étape dans l'élaboration de ce projet.
Le chiffrage précis, comme pour toutes les propositions du PS, interviendra dans les mois
qui viennent. Mais nous avons d'ores et déjà rendu prioritaires les dépenses : augmenter les moyens dédiés à l'école publique sera nécessaire, mais ne sera pas suffisant. Nous aurons besoin de
revenir sur beaucoup de suppressions de postes décidées par la droite, mais il nous faudra aussi engager des réformes de structure d'un système qui est aujourd'hui défaillant.
Les socialistes sont convaincus que, pour construire la société de demain que nous voulons,
nous devrons octroyer une priorité à l'éducation. Nous savons cependant que le contexte budgétaire et économique de 2012 sera un contexte de contraintes.
C'est pourquoi nous ciblerons les moyens nouveaux sur des priorités précises. J'ai déjà
cité l'école primaire et la petite enfance, j'ajouterai les ZEP et les établissements qui en ont le plus besoin.
Enfin, comme toute réforme du système ne se fera pas sans l'assentiment des enseignants,
nous engagerons également des discussions pour une revalorisation des métiers de l'éducation.
Nous pensons que nous pouvons engager des réformes ambitieuses et nécessaires du système
éducatif avec des augmentations raisonnables du budget consacré à l'école.
Une des caractéristiques de notre système éducatif est sa capacité de tri social et de
sélection par l'échec. Au nom de la sélection des élites, nous avons sacrifié la réussite du plus grand nombre. Nous devons conjuguer l'excellence des savoirs avec une réelle démocratisation de
la réussite.
Les élites seront au moins aussi nombreuses et performantes si nous engageons une
transformation profonde de l'école garantissant la réussite de tous.
Il n'y a, de notre point de vue, aucune opposition entre l'émergence d'une élite et la
réussite de tous.
Nous pensons qu'une des difficultés de notre système éducatif résulte du fait que nous ne
laissons pas le temps aux réformes en cours d'être appliquées, évaluées, puis modifiées.
Nous ne pensons pas qu'à chaque nouveau ministre, il doit y avoir une réforme de toutes les
strates du système éducatif. Il faut laisser le temps de l'application, de l'évaluation, de l'expérimentation, pour décider d'éventuelles remises en cause des réformes décidées, y compris par les
gouvernements précédents.
Concernant la réforme du lycée, nous prendrons donc le temps de l'évaluation de cette
réforme, même s'il est probable que des modifications y soient apportées.
Je pense notamment à la revalorisation du lycée professionnel, à la multiplication
effective des passerelles entre les filières et les différentes voies. Concernant le rôle et la place de chacune des disciplines, nous sommes favorables à la plus grande concertation avec tous
les acteurs concernés. On ne peut pas fonder une réforme exclusivement sur le poids ou le taux horaire de chacune des disciplines.
Nous reviendrons – et je le dis avec clarté – sur la suppression de la carte scolaire. La
Cour des comptes a parfaitement démontré que la suppression de la carte scolaire conduisait à une ségrégation sociale et scolaire plus importante.
Il ne sera cependant pas suffisant de rétablir la carte scolaire telle qu'elle existait
auparavant.
Elle peut même parfois être vecteur de ghettos sociaux et culturels, des ghettos de riches
comme des ghettos de pauvres.
Il faudra donc aller plus loin, parce que l'objectif de mixité sociale et scolaire est un
objectif essentiel pour garantir la réussite de tous. Pour cela, tous les établissements scolaires, y compris l'école privée, devront se conformer à des objectifs de mixité sociale et
scolaire.
Je parle évidemment des établissements privés sous contrat.
Le PS propose-t-il une alternative à la notation systématique ?
De la même manière que nous souhaitons accorder une priorité aux innovations pédagogiques,
nous pensons que les modalités d'évaluation des élèves sont aujourd'hui obsolètes.
Les notations telles qu'elles existent aujourd'hui favorisent les élèves en situation de
réussite, mais stigmatisent les élèves en difficulté. C'est la raison pour laquelle il faut, par exemple, conjuguer une évaluation des savoirs, mais aussi des compétences, des progrès et des
acquis.
Le retour de l'école le samedi est-il en projet ?Nous ne proposons pas le retour de l'école le samedi matin. En revanche, nous considérons que la suppression du
samedi matin et la mise en place autoritaire des quatre jours d'école par le gouvernement actuel sont une erreur.
Nous proposerons donc que la semaine s'organise autour de cinq jours éducatifs pour tous.
Il y a nécessité d'augmenter le nombre d'heures et de jours scolarisés pour les élèves, particulièrement pour les élèves fragiles scolairement.
C'est pourquoi nous proposons d'allonger l'année scolaire en diminuant les vacances d'été
et en passant la semaine de quatre à cinq jours. Le cinquième jour sera probablement le mercredi, même si nous souhaitons que les projets éducatifs locaux permettent d'organiser ces cinq jours
éducatifs.
Il ne s'agit pas forcément de cinq jours pleins devant un professeur des écoles pour les
élèves, mais nous devons y intégrer des activités scolaires ou périscolaires qui, pour beaucoup, auront lieu dans les murs de l'école, mais qui ne seront pas forcément sous la responsabilité
directe des enseignants.
Nous voulons faciliter les transitions entre les temps scolaires, les temps périscolaires
et les temps privés.
Croyez-vous que les enseignants du primaire vont accepter de recommencer à travailler cinq
jours par semaine ?Il n'y aura pas d'efforts supplémentaires demandés aux
enseignants, qui ne seront pas reconnus, notamment financièrement.
Cependant, beaucoup de professeurs des écoles voient les conséquences de la semaine des
quatre jours comme des difficultés supplémentaires dans l'exercice de leur métier. Les enfants sont plus stressés et plus fatigués par des horaires incohérents et beaucoup trop
chargés.
Je rappelle cependant que nous proposerons cinq jours éducatifs où la totalité de ces cinq
jours ne nécessitera pas la présence des professeurs des écoles. Bien évidemment, rien ne se fera sans consultation des enseignants et de leurs organisations syndicales. Nous y ajouterons
également les collectivités locales, les associations d'éducation populaire, mais aussi et surtout les parents.
La suppression du redoublement ne se décrète pas. Il est un objectif pour nous pour
plusieurs raisons. Tout démontre qu'il n'est pas facteur de réussite pour les élèves qui redoublent, et il fait figure d'exception en comparaison aux systèmes éducatifs d'autres
pays.
Par ailleurs, le redoublement coûte cher pour des bénéfices quasi inexistants. Le
redoublement ne doit donc concerner que des élèves pour lesquels il peut être bénéfique. Je pense par exemple aux élèves qui ont eu une rupture dans leur année scolaire pour des raisons bien
particulières – maladie ou autre.
Pour la masse des élèves à qui l'on propose le redoublement, d'autres solutions sont
possibles. Il faut mettre l'accent sur l'accompagnement individualisé, le suivi pédagogique, et l'adaptation de leur parcours à leurs difficultés.
Pour cela, nous devrons relancer la politique des cycles qui permettent que des jeunes
progressent selon leurs besoins et leur propre rythme.
Les redoublements seront donc proscrits lorsque le système éducatif réformé aura permis que
des solutions soient apportées à tous sans passer par ce qui apparaît aujourd'hui, comme une sanction et une situation d'échec.
Concernant la sécurité des élèves, au collège et au
lycée,nous ne croyons pas aux tentatives de sanctuarisation des
établissements scolaires voulue par la droite. Nous pensons qu'il faut amplifier les relations entre tous les acteurs concernés par la sécurité dans les établissements.
On ne peut pas imaginer lutter contre les faits de violence dans les établissements –
essentiellement collèges et lycées – avec un tel déficit de personnel encadrant dans ces établissements.
Lorsqu'il y a moins d'un surveillant pour plus de 100 élèves dans certains lycées, on ne
peut s'étonner de l'augmentation des incivilités.
Pour inculquer des valeurs républicaines, civiques et laïques, plus efficacement dans un
système en carence,je pense que le déficit de confiance dans le système
éducatif est pour bon nombre d'élèves en difficulté, la raison d'une défiance à l'égard de la société qui peut parfois amener jusqu'à des comportements violents.
Tous les personnels encadrants, les enseignants comme les surveillants, mais également les
personnels infirmiers ou les assistants sociaux, doivent être formés non pas pour être des gendarmes, mais pour être des personnels éducatifs aptes à appréhender ce type de
comportement.
De plus, décider d'une priorité au suivi individualisé et à la pédagogie, c'est aussi
redonner confiance aux élèves, et donc participer à la transmission des valeurs.
La conception que nous avons du socle commun de connaissances et de compétences acquis par
tous les élèves en fin de scolarité obligatoire intègre la transmission de valeurs républicaines comme le respect, la laïcité, l'égalité.
J'avais, dès 2007, lors du vote de la loi LRU, émis les plus grandes
réserves sur les conséquences de cette loi. Je ne peux que regretter que le gouvernement n'ait pas tenu compte des nombreuses observations faites par les étudiants, mais aussi les enseignants et
les chercheurs, car contrairement à ce que prétend Valérie Pécresse, l'application de cette loi se traduit par des inégalités accrues entre les universités et par une paupérisation de
l'enseignement supérieur français.
Comment expliquer le succès des établissements privés ?
La bonne santé des établissements privés est essentiellement due à la défaillance du service public
d'éducation. Les écoles privées sont aujourd'hui utilisées par les familles pour contourner la carte scolaire ou pour éviter certains établissements publics. C'est la raison pour laquelle nous
devons à la fois rénover les établissements publics et proposer des objectifs de mixité sociale au privé. »
Comme toujours, vous pouvez réagir !